Ces 17 et 18 mars, lors d’un nouveau sommet à Bruxelles, l’Union européenne et la Turquie adopteront un accord supposé résoudre ce qui est à tort nommée la « crise migratoire ». Un plan qui permet surtout à l’Union de repousser les réfugiés hors de ses frontières et de sous-traiter ses obligations à la Turquie.
Les États membres fuient ainsi leurs responsabilités au mépris du droit d’asile. Le réseau Migreurop, réseau européen et africain qui réunit une cinquantaine organisations défendant les droits des migrants, et l’Association européenne pour la défense des droits de l’Homme (AEDH) s’opposent fermement à cet accord et demandent à l’Union de respecter l’ensemble de ses obligations internationales.
Les demandeurs et demandeuses d’asile qui arrivent dans l’Union européenne sont les rescapé-e-s d’odyssées qui transforment la Méditerranée en fosse commune et qui ont dû échapper au contrôle exercé par les États tiers jouant le rôle de gardes-frontières de l’UE. Jusqu’au récent exode de centaines de milliers de Syriens, les États membres avaient ainsi réussi à canaliser la demande d’asile, maintenue à des niveaux historiquement faibles, et à faire reposer la quasi-totalité de l’accueil des réfugiés sur les pays proches des zones de conflits[1]. Les textes européens régissant l’asile, notamment les règlements « Dublin » successifs, ne fonctionnent qu’à condition que peu de réfugiés arrivent dans l’UE. Certes, il existe des dispositions spécifiques en cas « d’afflux massif ». Mais la directive « protection temporaire » a été conçue de façon à ce que sa mise en œuvre soit particulièrement complexe, et elle n’a d’ailleurs jamais été activée depuis son adoption en 2001. La courte période, à l’automne 2015, pendant laquelle des demandeurs d’asile ont pu accéder en nombre et relativement librement à un État membre, a été une parenthèse ouverte parce que la chancelière allemande a délibérément choisi de ne pas appliquer les règles européennes en vigueur.
Avec le projet d’accord avec la Turquie, l’UE entend refermer cette parenthèse pour revenir à ses fondamentaux en matière de mise à distance des demandeurs d’asile. Elle fait feu de tout bois avec l’arsenal juridique à sa disposition (« pays tiers sûr », « pays d’origine sûr », accords de réadmission…) au mépris des droits fondamentaux et d’une convention de Genève bien peu défendue par le Haut commissariat aux réfugiés (HCR).
Alors que la Turquie accueille à elle seule près de trois millions de réfugiés syriens, les dirigeants européens la désignent à la fois comme coupable (puisque les réfugiés ne devraient pas arriver jusque dans l’espace Schengen) et comme partenaire privilégié. Pour cela, ils sont prêts à fermer les yeux sur les dérives autoritaires d’un Recep Tayyip Erdogan ayant relancé une guerre civile contre une partie de sa population, notamment kurde, et usant de tous les moyens afin de faire taire ses opposants (journalistes, universitaires, magistrats…). Aujourd’hui, la Turquie n’est un « pays sûr » ni pour ses ressortissants, ni pour les réfugiés. Mais l’UE est prête à toutes les contorsions juridiques pour qu’Erdogan accepte de limiter les départs vers la Grèce, qu’il laisse patrouiller l’Otan – transformée en agence de surveillance des frontières européennes – dans ses eaux territoriales et qu’il accepte de reprendre sur son sol les exilés passés par la Turquie et expulsés de Grèce. Le niveau d’aveuglement politique, de mépris des droits fondamentaux et d’abaissement moral des négociateurs de l’UE est tel qu’ils envisagent de troquer la réinstallation dans l’Union européenne de demandeurs d’asile vivant dans la plus grande précarité en Turquie contre l’acceptation, par cette dernière, d’un contingent équivalent de personnes « éloignées » des États membres.
L’UE doit renoncer à cet accord avec la Turquie et cesser de se barricader contre les réfugiés. Les États membres doivent arrêter la fortification de leurs frontières et enfin assumer leurs obligations en matière d’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile. Le prochain conseil européen des 17 et 18 mars doit suivre les recommandations du Parlement européen (résolution du 9 octobre 2013) et organiser la mise en œuvre de la directive « protection temporaire ». Ce serait un premier geste de rupture avec l’irresponsabilité d’une politique d’externalisation ayant entraîné le naufrage du droit d’asile et la mort de dizaines de milliers de personnes en recherche de protection et d’un avenir meilleur.
Contacts presse:
Dominique Guibert, Président
AEDH, Association Européenne pour la défense des Droits de l’Homme